
Jos Jullien
Un Ardéchoix talentueux
Il est un peu oublié ce natif de Tournon talentueux aux multiples passions, médecin, chercheur, homme politique, passionné par la préhistoire, inventeur, écrivain, artiste.....
Il est né le 2 Janvier 1877 à Tournon, où son père était Maréchal des Logis au sein de la brigade gendarmerie de la ville.
Très prolifique Jos Jullien a publié de nombreux articles, écrit sur des sujets variés : préhistoire, médecine. Il a illustré de nombreux ouvrages notamment pour les éditions du Pigeonnier,
Etudes
Après une scolarité classique à Bourg-en-Bresse, il suit des études de médecine, et fait son internat à l’Hôtel Dieu de Lyon d’abord dans le service de chirurgie osseuse du Dr Louis Léopold Ollier puis avec Raphaël Lépine en médecine expérimentale, et ensuite avec André Lacassagne fondateur de l’anthropologie, et qui occupe une chaire de médecine légale à l’université de Lyon.
Très impressionné par ce dernier, il se prend de passion pour l’anthropologie criminelle et en fait le sujet de sa thèse sous l’autorité de ce grand médecin légiste.
Le sujet de sa thèse : «l’industrie des gants, études d’hygiène professionnelle et de Médecine légale » présente un état des lieux précis des maux dont souffrent les ouvriers gantiers, palissonneurs, ponceurs, mégissiers ou les teinturiers.
Après un développement en 25 Points sur 124 pages il conclut son étude : « les différents travaux des ouvriers de l’industrie des gants impriment à leurs mains des stigmates, qui pour la plupart sont constants et peuvent permettre d’établir l’identité des individus qui en sont porteurs ».
Il soutient sa thèse le 4 Mars 1902 et est reçu avec les honneurs.
Carrière médicale
Il s'intalle à Joyeuse après son union avec Camille Mesclon, et y ouvreson cabinet médical où il reçoit sa patientèle deux matinées par semaine, le reste de son temps il se rend dans les villages alentours pour y soigner les gens à domicile. Il est toujours joignable, jour et nuit, assure les urgences, prend soin des vieillards, et réalise les accouchements.
Dans son cabinet, il implante une salle d’analyses et c’est donc dans ce laboratoire personnel qu’il commence ses recherches qu’il poursuivra par la suite à l’hôpital communal.
C’est un bourreau de travail, qui ne compte pas ses heures surtout en période d’épidémies.
C’est lors de ses premières années d’exercice qu’il rédige ses premières communications médicales abordant notamment les « superstitions médicales et remèdes de bonne femme ».
Entre 1908 et 1911, il fonde deux revues médicales « le médecin de campagne » avec pour objectif de tisser des liens entre les médecins et leurs patients ; puis « le médecin de famille » pour l’ensemble de la profession médicale avec une dimension plus sociale
Recherches et inventions
C’est également à cette période qu’il produit ses premières inventions conçues comme support technique pour le corps médical.
« la boîte à pansement aseptiques » de nouvelle génération dont l’originalité est qu’elle garde son asepsie même en cas d’utilisation discontinue, elle est facile d’utilisation, pas chère et peu encombrante contrairement aux pansements stériles prêts à l’emploi très onéreux qui doivent être stérilisés à nouveau avant de pouvoir être réutilisés.
Le brevet est déposé en 1906, et la commercialisation débute en 1908 par la Sté Mesclon, basée à Joyeuse, propriété de son beau-frère Aimé Mesclon.
« le conformateur manuel »
Il met au point un conformateur manuel « outil d’anthropométrie médico-légale » afin d’identifier une personne par l’étude de ses mains.

La conception d’un prototype se fait avec les conseils de Lacassagne, et la fabrication confiée à un coutelier lyonnais réputé M. Souel.
Le prototype terminé, Jos Jullien rédige une article à son sujet dans la revue d’anthropologie criminelle créée par Alexandre Lacassagne.
Malheureusement cet appareil n’a pas trouvé sa place face à des techniques d’identification plus aisées à mettre en place.
En 1911 fait don de cet appareil au Musée de médecine légale de Lyon
Une commission chargée de référencer tous les instruments médicaux redécouvre cet appareil en 2012. Il est exposé et mis en situation au Musée des Sciences médicales et de la santé de Rillieux-La-Pape.
« la brucellose »
Dès 1930, il s’intéresse à une maladie infectieuse grave « la brucellose » (ou fièvre de Malte) qu’il rencontre dans sa patientèle rurale, infection grave liée à la proximité des cheptels caprins, ovins ou bovins qui peut provoquer septicémie, atteinte osseuse, arthrite, pulmonaire ou méningite.
C’est une catastrophe économique pour les habitants des campagnes.
Il en étudie d’abord les différentes formes, humaines et animales, et propose des diagnostiques distincts pour différencier cette pathologie de la tuberculose.
Il créé, toujours à Joyeuse, un centre de traitement qui regroupe les malades pour faciliter l’étude de cette maladie.
Il informe régulièrement l’Académie de Médecine de l’avancée de ses recherches notamment sur un vaccin « Paronduline » et sa technique d’administration. Il collabore avec les laboratoires Ducatte pour la commercialisation de son vaccin baptisé « Paronduline du Dr Jullien ».
Ses recherches sont récompensées en 1934 par la médaille de Bronze de l’Académie de Médecine.
« le spiroscope »
En 1934, pour lutter contre les symptômes respiratoires de cette maladie, et à la demande de ses malades, il invente un appareil simple « de contrôle, d’entraînement et de gymnastique respiratoire ».
Un brevet d’invention est déposé le 22 Décembre 1934 et délivré le 1er Avril 1935 par la direction de la propriété industrielle du Ministère du commerce et de l’industrie.

Le Dr Jullien n’a pas conçu cet appareil pour les professionnels mais pour les patients compte tenu de sa facilité d'utilisation.
Il en confie donc la commercialisation à la Sté Manufrance pour la somme de 25 Francs.
Des modèles en bakélite sont ensuite produits et commercialisés par les Assurances Aigle-Soleil qui diffuse, en partenariat avec la maison Hachette disposant d’un réseau de distribution important, les informations relatives à cet appareil, on en fait la promotion sur différents supports et notamment sur un protège-livre.
Pour présenter son invention, le Dr Jullien participe à différents congrès professionnels nationaux, le premier étant le « Congrès de l’enfant à la mer et à la montagne », à Nice sous présidence d’honneur de Gaston Doumergue.
Il organise lui-même en 1935 un congrès à Avignon où sont présents le ministère de la santé, et des délégués de six pays européens pour étudier ce qu’il nomme « le péril social » tant cette maladie fait des ravages. Sont également présents d’autres délégués étrangers, surtout du bassin méditerranéen, soit plus de 200 congressistes.
La deuxième guerre mondiale met un arrêt au plan de lutte entamé.
Le « spiroscope » rencontre un énorme succès auprès du public et devient le premier objet de « consommation médicale de masse ».
« le thermalisme »
Son expérience sur la brucellose l’amène à s’intéresser aux propriétés des eaux thermales à Brides-les-Bains et démontre qu’il existe dans ces eaux des éléments minéraux, vitamines et même le plancton qui peuvent avoir un effet préventif et curatif sur les dermatoses.
Directeur-fondateur du laboratoire d’hydrologie de Molitg-les-bains, ses découvertes ont des applications pratiques avec la mise au point du « Plancton de Vie ».
Sa collaboratrice Jeanine Marissal intègre en 1952 ce process dans une gamme de cosmétiques. C’est la naissance de Biotherm, issue de la biologie thermale.
En 1947, il publie un article sur l’action bactériologique des eaux thermales, et participe en Octobre 1952 au congrès hydrologique de Munich.
C’est aussi un des premiers à faire le lien entre climat et maladies respiratoires dans un article « Respiration et climat » dans la Revue de Cosmétologie.
Carrière politique
Après huit années comme adjoint au Maire dans son village de Joyeuse, il est élu Maire du 10 mai 1908 à 1912, puis de 1919 à 1944.
Durant ses mandatures, il modernise les infrastructures de la commune, met en place une aide aux plus démunis.
Il restaure l’hôpital vieillot, le dote d’une salle d’opération, de radiographie, d’une maternité et y installe le chauffage central. Grâce à ces équipements modernes, l’hôpital de Joyeuse devient un centre médical à rayonnement international.
Il créé un organisme pour récolter des fonds réservés aux orphelins des professions médicales et pharmaceutique, c’est la naissance du « Nid Médical ».
Carrière militaire
Après l’entrée en guerre de la France le 11 Août 1914, il répond à la mobilisation et rejoint le 52ème régiment d’artillerie de campagne le 6 septembre.

Nommé médecin aide-major 2ème (lieutenant) classe le 8 octobre il participe à la bataille d’Arras commencée le 1er octobre ; il s'y distingue et reçoit « La Croix de Guerre » avec une citation à l’ordre de la division le 6 Juin 1915 :
« venu volontairement sur la position le 23 Avril 1915, en laissant son médecin auxiliaire à l’échelon ; a donné ses soins sous un violent bombardement à de nombreux blessés, particulièrement des fantassins dont le poste de secours était trop éloigné. »
Le 15 Juillet 1915 il intègre le 118è régiment d’artillerie de campagne où il est noté comme particulièrement doué par ses supérieurs.
Lors de l’offensive en Alsace, le 20 mars 1916 à Wolfesdorf, il est blessé à la face par un éclat d’obus.
La Bataille de la Somme
Le Dr Jullien est envoyé au front en qualité de médecin. Il est blessé dans la région lombaire par un éclat d’obus à Maurepas le 20 août 1916.
Admis à l’hôpital du Val de Grâce à Paris au mois de septembre il obtient un congé de convalescence d’un mois à partir du 14 septembre 1916.
Cet acte de bravoure lui vaut une citation à l’ordre de l’armée le 20 août 1916 :
« Modèle de sang-froid et de bonne humeur tranquille. Toujours en première ligne et prêt-à-porter secours aux blessés, même étranger à son groupe ; a été gravement blessé le 20 août 1916, en se portant au secours de canonniers tombés sous un violent bombardement de 210. »
Hôpitaux militaires
Le 15 octobre 1916, il rejoint la 15e division à Marseille puis est ensuite mis à la disposition du médecin général de l’hôpital de Toulon le 22 décembre 1916 en tant que médecin traitant.
Ses états de services pour l’année 1916 sont les suivants :
« médecin major d’un dévouement et d’une correction absolus, tout particulièrement apprécié par tout le personnel du groupe. »
Le 7 avril 1917, il est affecté au 14e bataillon des tirailleurs malgaches en formation au camp de Fréjus puis au 24e bataillon à la suite de la dissolution du 14e bataillon.
Le 29 décembre 1917, il est décoré de la croix de chevalier de la Légion d’honneur pour « faits de guerre.
Ces mois passés dans les hôpitaux militaires lui permettent d’écrire et de publier dans le numéro du 1er mars 1918 de la revue Le Mercure de France un articule intitulé « la guerre et les progrès de la chirurgie » dans lequel il relate les progrès des soins d’urgence réalisés au cours de ces quatre années de guerre. »
Il est ensuite affecté à un hôpital d'orientation et d’évacuation (H.O.E) et devient médecin chef le 10 octobre 1918.
« Le médecin aide major de 1re classe Jullien remplit depuis le 9 avril les fonctions de chef de service médical du 14e bataillon de tirailleurs malgaches ; Zélé, dévoué, très consciencieux, il donne à tous égards satisfaction à son chef de corps. D’une éducation, d’un esprit cultivé, d’un caractère militaire, le Dr Jullien est appelé à rendre de précieux services. »
Il est promu médecin major de 2e classe (capitaine) de l’armée territoriale le 28 octobre 1918
« Officier très méritant, remplissant ses fonctions de chef de service avec un zèle et un dévouement absolu »
À la fin de la campagne, après 49 mois passés sur le front, Jos Jullien est employé pendant sept mois dans une ambulance et un hôpital d'évacuation.
Il s’est révélé comme un « officier très brave et d’une correction absolue. »
Il est décoré de la croix de guerre avec étoile d’argent le 6 juin 1915 et palme le 20 août 1916 et de la Légion d'honneur en 1917.
Il est démobilisé le 23 mai 1919 et rendu à la vie civile.
Carrière artistique et littéraire
Pendant ses études de médecine, il s’inscrit à l’école des beaux-arts où il étudie le dessin. Il s’intéresse aussi à la littérature.
À côté de son métier de médecin de campagne il développe un don, qu’il avait toujours pratiqué, celui du dessin.
En 1920, il fait la connaissance de Charles Forot qui est frappé par son talent et qui lui conseille d’essayer la gravure où il va être excellent.
Il commence par la technique du bois gravé avec notamment des portraits de Verlaine, Toulet..... puis une série intitulée « masques » qui représente les personnages de tragédie : Bérénice, Phèdre, Faust, Othello, Sganarelle, Scapin, Tartuffe, Don Juan. Puis il passe à la technique de l’eau-forte et du burin.
Ses goûts littéraires l’incitent à composer en 1925 des illustrations pour Une saison en enfer de Rimbaud.

Dans son oeuvre gravée, il préfère la figure humaine et littéraire. Il dessine et grave une série de portraits originaux et personnels d’écrivains qu’il nomme « construction » : Stendhal, Rimbaud, Anatole France, Pierre Loti, Paul Valéry et bien d’autres.
Il est à l’initiative du livre en hommage à Charles Forot « Chales Forot au Pigeonnier », publié en 1927 et réalisé avec le graveur Philippe Burnot.
Ces années 1920 sont aussi pour Jullien celles où il orne un grand nombre d’ouvrages, à commencer par ceux des Éditions du Pigeonnier de son ami Charles Forot.
Tout ce côté artistique de Jos Jullien, notamment des années 1919 à 1931, doit être lié à ses inclinations littéraires qui aboutissent, par exemple, à des différents essais notamment sur son auteur préféré Stendhal, à qui il consacre deux écrits : Casanova à Nîmes et Casanova à Aix-en-Savoie
Il rencontra ses contemporains Jean Chièze, Marcel Gimond et Hippolyte Paquier-Sarrasin qui réalise pour lui des vitraux à Joyeuse.
Le préhistorien
Jos Jullien a une autre passion : la préhistoire et surtout les premiers occupants de l’Ardèche. Il fouille cavités, abris sous roche, dolmens et « fonds de cabanes ».
En se fixant à Joyeuse en 1902, après ses études il entreprend un important travail sur toutes les périodes de la Préhistoire de ce secteur.
Comme ses devanciers, il s’intéresse aux cavités et abris de la Baume Grêna, les Bouchets, la Gleisasse ; aux dolmens (groupement de Font-Méjeanne).
Mais aussi, fait nouveau, il effectue des ramassages sur une quinzaine de sites de surface et même quelques fouilles de “fonds de cabanes” dans les lapiaz (surfaces calcaires parcourues de "rigoles de dissolution" plus ou moins marquées )à Beaulieu, ce qui était une première pour ce type particulier et caractéristique de sites néolithiques ardéchois
Bulletin de la Société préhistorique française.
Il publie essentiellement le résultat de ses recherches dans le Bulletin de la Société préhistorique française. l D'autres publications en 1913 et 1914 sont des essais de synthèse importants sur le Néolithique ardéchois.
Il est membre de plusieurs sociétés scientifiques, délégué à la conservation des monuments historiques et aux Beaux-Arts, correspondant de l’Institut et directeur des fouilles d’Alba Augusta
En 1931, il profite du Xe Congrès de Préhistoire de France, pour proposer le lundi 7 septembre une excursion aux stations néolithiques du Gard et de l’Ardèche, Uzès, Joyeuse, le Vié Cioutat
En 1946, il fait le point sur l'état des fouilles d'Alba dans la revue Rhodania.
Sa passion pour sa région le conduit à envisager la création d'un « musée Vivarois » au début de l'année 1914 et à publier une brochure sur le sujet. En raison du déclenchement de la guerre le projet n'a malheureusement pas de suite.
À son décès, un résumé de cette carrière parallèle est publié dans le Bulletin de la Société préhistorique française :
"Cet ancien Collègue, qui avait démissionné en 1953, vient de disparaître, âgé de plus de 80 ans. Alliant la plus vaste culture à la plus brillante intelligence, il avait consacré les loisirs de sa vie de praticien à l'étude des sujets artistiques et scientifiques les plus divers. Marchant sur les traces des premiers préhistoriens du Vivarais méridional, Jules de Malbos, Ollier de Marichard il étudia à partir de 1906 les grottes, abris sous roche, dolmens, fonds de cabanes et gravures rupestres de cette région. Citons ses fouilles des grottes des Bouchets, de Peyroche, de Cayre-Creyt, du Ranc d'Aven, de la Padelle, de la grotte d'Ebbou, des abris sous roche de Vernon. Le compte rendu de ces recherches, dont certaines faites avec la collaboration de Vial, Müller, Piraud, a été publié dans notre Bulletin (1900, 1912, 1914, 1947), dans les Comptes rendus de l'AFAS (1906, 1907, 1908. 1911), dans ceux de Rhodania (1927), dans la Revue du Vivarais (1908, 1913). J. Jullien rédigea la partie "préhistoire" de L'Histoire du Vivarais de J. Régné (1914)"
Un accident en 1940, l'oblige à ralentir ses déplacements sur le terrain; il s'irritait de l'absence d'une aide officielle mais son originalité et sa causticité en sont peut-être cause.
Il tente sans succès de créer une école de fouilles à Vallon et de faire classer comme parc national le canyon de l'Ardèche, si riche en stations préhistoriques.
Le produit de ses fouilles a été dispersé ; une partie cependant en est conservée aux musées des Vans et de Saint-Étienne.
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quelques sources pour compléter la très riche histoire de cet homme :


















